La jetée oubliée de Misène : récit d’une découverte
L’aube se levait sur la baie de Naples, enveloppant les eaux calmes d’une lumière dorée. Sous la surface, à quelques mètres de profondeur, reposait un vestige oublié : la jetée de l’ancien port de Misène. Ce port stratégique, autrefois animé, accueillait la redoutable Classis Misenensis (flotte de Misène), composante essentielle de la flotte impériale romaine. Fondée par Auguste vers 27 av. J.-C., cette flotte était chargée de surveiller la Méditerranée occidentale, en tandem avec la Classis Ravennatis (flotte de Ravenne).
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Reportage archéologique |
Un matin de juin, des archéologues, vêtus de combinaisons de plongée, glissèrent silencieusement dans les eaux de Bacoli. Leur mission : sonder les fonds marins à la recherche de traces du passé. Ce qu’ils découvrirent dépassa leurs espérances. Là, parmi les sédiments, une structure rectiligne émergeait : des blocs de pierre taillée, assemblés avec la précision romaine, formant la base d’une jetée. La structure s’étendait sur près de 90 mètres, large de plus de 20 mètres par endroits, et enfouie sous 5 à 9 mètres d’eau. Ce type de construction témoigne de l’ingénierie portuaire romaine, qui exploitait les configurations naturelles des baies pour créer des ports protégés. Les dimensions avancées, bien que plausibles, restent à confirmer par des publications scientifiques récentes, notamment les rapports de fouilles menées par la Surintendance archéologique de Naples.
Dès les années 1980, des campagnes de prospection sous-marine avaient permis de mettre au jour des statues immergées, des bases inscrites portant des dédicaces militaires, des fragments de colonnes en marbre, et des blocs sculptés témoignant de la présence de monuments publics. Ces éléments ont révélé l’existence d’une activité portuaire intense liée à la flotte impériale, ainsi qu’un environnement urbain riche en édifices civiques. Les archéologues ont également identifié des fragments de mosaïques, des éléments architecturaux appartenant à des temples, et des inscriptions latines mentionnant la Classis Misenensis, confirmant le rôle stratégique du site dans le dispositif naval romain. Une campagne de fouilles systématique menée en 1996 a permis d’extraire et de documenter ces vestiges plus en détail, renforçant les recherches sur l’organisation du port et ses fonctions militaires et logistiques.
La récente opération s’inscrit donc dans la continuité d’un travail archéologique de longue haleine, visant à préserver la mémoire matérielle de Misène et à mieux comprendre son rôle dans la géopolitique maritime de l’Empire romain. Lors de cette mission, des fragments de marbre, dont une architrave vieille de 2000 ans, gisaient à proximité de la structure mise au jour. Ces éléments architecturaux, autrefois ornements des monuments publics de Misène, témoignaient de la richesse et de la puissance de la colonie romaine. Guidés par la Surintendance de Naples et épaulés par les carabiniers subaquatiques, les archéologues remontèrent ces trésors à la surface, émus par la portée de leur découverte. Certains fragments portent des inscriptions dédiées à des officiers de la flotte, offrant un aperçu rare de la hiérarchie militaire et de la vie quotidienne dans le port.
Mais que représentait réellement cette structure ? Était-ce une jetée militaire, un quai de chargement, ou le socle d’un édifice portuaire plus vaste ? Les hypothèses fusent, mais les chercheurs avancent prudemment. Les fouilles se poursuivent, guidées par des relevés photogrammétriques et des analyses géomorphologiques, dans l’espoir de reconstituer le tracé complet du port antique. Chaque plongée révèle un peu plus de ce puzzle englouti, comme si Misène elle-même livrait ses secrets à contretemps.
Et si cette jetée n’avait jamais sombré brutalement ? Les géologues rappellent que la baie de Naples est soumise au bradyséisme, ce lent mouvement de la croûte terrestre qui fait monter ou descendre le sol au fil des siècles. Ce n’est pas l’effondrement, mais l’oubli qui a englouti Misène, lentement, inexorablement, sous les alluvions et les eaux. Ce même phénomène a déjà voilé les cités voisines de Baïes et de Cumes, comme si la mer elle-même voulait garder pour elle les vestiges de l’Empire.
Dans ce décor chargé d’histoire, le maire de Bacoli, ému, assista à la remontée des artefacts, comme on exhume une mémoire longtemps tue. « Une journée pleine d’émotions », déclara-t-il. Les objets seront exposés à la Casina Vanvitelliana de Fusaro, dans une scénographie (en cours de conception) qui mêlera marbre, lumière et reconstitution numérique. Le passé ne sera plus seulement contemplé : il sera exploré, projeté, raconté.
Ainsi, la jetée de Misène ne se contente pas de réapparaître. Elle ressuscite. Elle murmure l’histoire d’un port qui veillait sur l’Empire, d’une flotte qui dominait les flots, et d’une ville où le pouvoir impérial s’exprimait dans la pierre et le marbre. Aujourd’hui, les plongeurs et les chercheurs ne font pas que fouiller : ils écoutent. Et dans le silence des profondeurs, Rome parle encore.
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