Imaginez un instant : il y a plus de 5 000 ans, au cœur de l’Anatolie occidentale, des habitants ne se contentaient pas d’enterrer leurs morts… ils enterraient aussi leurs maisons. Que voulait dire ce geste ? Que nous raconte-t-il sur la façon dont ces peuples percevaient la vie, la mort, et la mémoire collective ? Oubliez les clichés poussiéreux sur l’archéologie : ce que révèlent les fouilles de Küllüoba bouleverse nos certitudes et nous invite à repenser notre rapport au passé.
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Des maisons ensevelies comme des tombeaux
À Küllüoba, près d’Eskişehir, les archéologues ont mis au jour un rituel aussi fascinant qu’inattendu : des maisons entières, soigneusement vidées, puis ensevelies sous des tonnes de terre rouge. Avant de sceller portes et fenêtres avec des pierres, on y déposait des restes d’animaux sacrifiés – des vertèbres de moutons et de chèvres – et parfois un unique vase noir, brisé volontairement. Le foyer et le silo restaient intacts, comme si l’esprit du lieu devait survivre à l’ensevelissement.
Ce rite, que l’on croyait réservé à la période néolithique, réapparaît ici à l’âge du Bronze, 7 000 ans plus tard. Pourquoi ? S’agit-il d’un écho de traditions oubliées, d’un acte de purification, ou d’un adieu solennel à un espace domestique chargé d’histoires ? Les archéologues eux-mêmes l’avouent : le sens profond de ce geste reste mystérieux, mais il témoigne d’une mémoire collective qui traverse les millénaires.
Quand la jeunesse devient sacrée
Mais Küllüoba n’est pas un cas isolé. Dans toute l’Anatolie, l’âge du Bronze révèle des pratiques funéraires d’une richesse insoupçonnée. Mais ce qui frappe, c’est l’importance accordée à la jeunesse. À Başur Höyük, la majorité des tombes fastueuses sont réservées à des adolescents, parés de perles et d’armes précieuses, parfois accompagnés de victimes de sacrifices. Ici, l’inégalité sociale naît dans la tombe, bien avant l’apparition des rois et des cités. La mort devient le théâtre d’une hiérarchie nouvelle, où l’âge, et non la richesse ou la lignée, détermine le prestige.
Et nous, que laisserons-nous derrière nous ?
Ces découvertes nous interpellent : que disent nos propres rituels de ce que nous sommes ? Enterrer une maison, c’est peut-être refuser l’oubli, c’est donner du sens à la fin d’un cycle, c’est transmettre un message aux générations futures. Aujourd’hui, alors que nos villes se transforment à toute vitesse, que reste-t-il de nos lieux de vie, de nos souvenirs collectifs ? Sommes-nous prêts à ensevelir nos propres histoires pour mieux renaître ?
Küllüoba nous rappelle que la mémoire n’est jamais anodine. Elle se construit dans la terre, dans la pierre, dans les gestes rituels. À l’heure où l’archéologie met au jour ces fragments de vie et de mort, il est temps de nous interroger : que voulons-nous transmettre à ceux qui, dans 5 000 ans, fouilleront les vestiges de notre civilisation ?
Les rites anciens ne sont pas de simples curiosités : ils sont le miroir de nos angoisses, de nos espoirs, et de notre humanité partagée. Oserons-nous, nous aussi, inventer de nouveaux rituels pour donner sens à nos vies ?

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