Le Secret du Village Interdit : Une mémoire que la montagne tente d’effacer

Des nappes glaciales s’étendaient, rythmées par les battements sourds du sol, tandis qu’un souffle discret se perdait dans le vent.

Ils étaient venus chercher l’adrénaline... Ils ont trouvé un territoire que personne ne quitte intact.  

Le vent siffle, des éclats de rires se perdent dans l’air glacé… puis, soudain, un craquement sec brise le silence. Un avion sans pilotes. Des animaux privés de mémoire. Une femme sans nom.

Le rythme s’emballe — cris étouffés, battements de cœur qui résonnent comme un tambour sourd.

Quand la neige efface chaque trace, que reste-t-il à découvrir… sinon soi-même ?

Osez entrouvrir la porte d’un silence que nul n’a jamais su refermer… avec Le Secret du Village Interdit : Une mémoire que la montagne tente d’effacer

Une voix d’enfant, douce et claire, vous glisse à l’oreille : « Je suis là. Depuis toujours. Et jamais je n’ai quitté cet endroit. »


 Certaines histoires sont si insensées qu’on les taxe de légende urbaine. Celle-ci s’est pourtant réellement produite, dans un petit village alpin attenant à une station de ski, dont le nom doit rester confidentiel. Pourquoi ce silence ? Parce qu’à chaque anniversaire de l’événement, des illuminés y organisent des cérémonies absurdes, pendant que des curieux en quête de sensations y rejouent des scènes macabres. Ce lieu mérite la paix. Le respect. L’oubli.

L’inconscience des cimes

Le 1ᵉʳ janvier 2015, à minuit trente, une bande d’amis, amateurs de sports extrêmes et d’excès en tout genre, décide — sous l’effet de l’alcool et de l’euphorie — d’escalader la falaise des Spoutis-la-haute. Tandis que les femmes du groupe, lucides et sobres, mettent en garde contre l’expédition, les hommes s’obstinent, convaincus, selon eux, que la montagne leur obéira.

Les premières heures sont idylliques. Mais très vite, neige, vent et brouillard les désorientent. Le retour devient impossible. La nature, jusqu’alors familière, leur semble soudain étrangère. Animaux inconnus, plantes jamais vues... sont-ils réellement toujours sur Terre ?

L’érosion des corps… et des esprits

Les jours passent. Les provisions s’amenuisent, les esprits vacillent. Manger des racines et des lichens aggrave leur état. Une nuit glaciale, blottis sous une bâche de fortune, ils évoquent l’impensable : la survie cannibale. Personne n’est encore mort. Pas encore. Le silence pesant, la faim tenace et les regards fuyants creusent un gouffre entre eux. Alors, pour briser ce vide, l’un d’eux murmure une histoire ancienne : celle d’un crash aérien dans les Andes, où des survivants n’avaient eu d’autre choix que de se nourrir des corps de leurs compagnons.

Ici, pourtant, tous sont encore vivants. Pour l’instant.

L’avion des bêtes

Un jour de janvier, le miracle frappe, ou peut-être le cauchemar. Un avion s’écrase à quelques mètres de leur campement. En s’approchant, le choc est rude : des corps déchiquetés, démembrés, jonchent le sol. Plus troublant encore : le commandant de bord avait de longues oreilles soyeuses… et une dentition éclatante. C’était un âne. L’équipage ? Des ânes. Les passagers ? Des vaches, des chevaux, des chèvres. L’hallucination semble collective… Pourtant, ils mangent. Pour survivre.

L’amour sans nom

Les jours s’égrènent dans une monotonie glaciale. Deux membres du groupe s’éteignent à quelques jours d’intervalle — l’un, sans doute affaibli par une infection contractée dans la neige souillée ; l’autre, victime d’une chute dans un ravin en tentant de trouver un abri. Les survivants, impuissants, enterrent les corps sommairement sous la neige. L’idée du cannibalisme ressurgit, plus concrète que jamais. Le groupe vacille entre éthique et instinct, entre raison et terreur.

Puis naît l’inattendu : un amour. De cette union silencieuse, un enfant. Moi. Le narrateur. J’ai grandi là, entre les sapins, auprès de deux figures qui m’élevaient sans mot sur le passé. Ils se disaient compagnons de survie, mais quelque chose sonnait faux dans cette harmonie fragile.

Parfois, au détour d’un feu de camp ou d’un silence trop long, une silhouette apparaissait — fine, drapée dans des vêtements usés, les cheveux humides de neige. Personne ne la présentait. Personne ne la nommait. Elle entrait dans le cercle, me regardait sans sourire, puis disparaissait dans les ombres des arbres comme si elle n’avait jamais été là.

Je n’ai jamais osé poser de questions. J’étais nourri, aimé, protégé. Cela suffisait. Au fond de moi, je sentais que ma naissance relevait moins d’un simple fait biologique que d’un mystère profondément enfoui, que les montagnes elles-mêmes semblaient vouloir protéger.

L’effondrement

Les réserves s’épuisent. Mes deux pères meurent — le froid les a figés, puis rendus silencieux comme la neige elle-même. J’ai d’abord refusé de les manger. Par loyauté. Par dégoût. 

Mais la faim, dit-on, est un tyran sans visage. Et j’étais seul.

À peine avais-je cédé à la chair que la neige s’est mise à tomber à l’envers — flocons remontant vers les nuages comme s’ils voulaient effacer mes traces.

Et puis, elle est revenue.

La femme. Toujours aussi étrange, toujours aussi muette. Elle ne semblait ni surprise, ni attristée. Simplement là. Sa présence était la même que celle d’un rêve oublié au réveil : dérangeante, mais indéniable.

Elle s’est assise près de moi, sans un mot, sans un geste. Elle a sorti de son manteau un morceau de tissu — un fragment de chemise, taché de cendre, brodé d’un œil noir entouré d’un cercle fermé, comme un avertissement silencieux. J’ai cru reconnaître l’odeur de mes pères. Elle m’a tendu ce symbole sans m’expliquer. Et elle m’a regardé.

Ce regard m’a accompagné jusqu’à ce que je sois retrouvé. Les secours disent m’avoir découvert seul. Mais je sais qu’elle m’a conduit jusqu’à eux. Ou peut-être que je l’ai suivie sans le savoir.

Je ne l’ai jamais revue. Et personne ne l’a jamais vue.

Mais parfois, quand la lumière bascule entre le jour et la nuit, je crois entendre son pas sur le carrelage froid de l’asile. Lent. Régulier. Comme un souvenir qui ne sait pas s’il doit revenir.

Le monde a-t-il effacé l’histoire ou s’y est-il fondu ?

Un matin, au réveil, plus aucune trace de l’avion, ni des ossements supposés animaux. Tout avait disparu, comme absorbé par la montagne ou effacé d’un coup de pinceau invisible.

Les rumeurs, elles, restaient bien vivantes : certains parlaient d’un phénomène naturel inexpliqué, d’autres d’une malédiction ancienne liée à ces lieux oubliés des cartes. Il se disait même que ceux qui s’y aventuraient trop longtemps finissaient par perdre toute notion du temps et de la réalité.

Peut-être avions-nous, sans le savoir, franchi un seuil invisible. Celui où la frontière entre le vrai et l’imaginaire se dissout comme la neige au printemps.

L’héritage

Il ne reste plus aujourd’hui qu’une légende, une histoire sordide qui tourne en dérision tout ce que j’ai vécu. Pourtant, je suis bien réel : fait de chair, porteur de souvenirs et d’un espoir fragile qu’ailleurs, une vérité m’attend.

Peut-être l’amour. Peut-être encore la folie.

Mais toujours cette certitude : mon histoire, aussi invraisemblable soit-elle, demeure la seule cicatrice visible d’un passage dans l’invisible.

 Ce que je n’ai jamais dit 

Ils me regardent avec leurs blouses blanches et leurs stylos qui grattent la vérité. Ils pensent que je délire. Que j’invente. Mais je me rappelle tout.

Hier, un nouveau médecin est entré. Il portait une montre ancienne à gousset. Identique à celle qu’elle m’avait tendue dans la forêt. Il l’a effleurée du pouce comme on caresse un souvenir. Puis m’a demandé : « Tu te souviens du cercle noir autour de l’œil ? »

Je n’ai pas répondu. Parce que s’il le sait, c’est qu’il y était. Ou qu’il y est toujours.

Cette nuit, j’ai entendu une voix féminine murmurer près de la grille : « Le vrai monde est plus loin. Tu t’es juste arrêté au seuil. »

Et quand je me suis approché, une plume blanche flottait là, à contre-courant du vent.


Antoine, 31 Décembre 2015

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