Le puzzle antique : redonner vie aux fresques romaines de Southwark

 Un puzzle de 2 000 ans : la renaissance des fresques du « Beverly Hills » romain de Londres

Imaginez-vous face à des milliers de fragments de plâtre, éparpillés, cassés, portant chacun un fragment d’histoire, de couleur ou de motif. C’est le défi surhumain qu’a relevé Han Li, spécialiste des matériaux de construction au Musée d’Archéologie de Londres (MOLA), en reconstituant des fresques romaines vieilles de près de 2 000 ans. Un exploit technique et artistique qui ressemble à un puzzle sans image de référence, où chaque pièce pourrait appartenir à plusieurs tableaux différents.

Histoire de l’art antique

Le « Beverly Hills » romain de Londres

Le site de fouilles, situé à Southwark, est surnommé le « Beverly Hills de la Rome antique » par les archéologues. Pourquoi cette comparaison ? Parce que les vestiges découverts témoignent d’une richesse et d’un raffinement exceptionnels pour l’époque. Les habitants de ce quartier jouissaient visiblement d’un statut social élevé, à l’image des résidents de Beverly Hills aujourd’hui. Les fresques, ornées de panneaux jaunes, d’oiseaux, de fruits, de fleurs et de lyres, rappellent le luxe et la culture des élites romaines.

Les panneaux jaunes et l’imitation du porphyre (1) 

Ce qui rend ces fresques uniques, ce sont les panneaux jaunes, extrêmement rares en Grande-Bretagne romaine. Ces motifs, associés à des imitations de marbre africain (giallo antico) et de porphyre égyptien, témoignent d’une recherche de prestige et d’originalité. Les peintres ont utilisé des techniques sophistiquées pour imiter des matériaux précieux, comme le marbre veiné ou le porphyre cristallin, afin d’impressionner les visiteurs et d’affirmer la richesse du propriétaire.

La reconstruction : un défi de patience et de précision

Han Li a consacré trois mois à ce puzzle monumental. Chaque fragment devait être manipulé avec soin, car le plâtre fragile ne supporte que quelques essais avant de s’effriter. Grâce à des techniques d’éclairage avancées et à la cartographie numérique, Li a pu analyser la texture de la peinture, les coups de pinceau et la composition des pigments. Cette approche scientifique, combinée à une grande sensibilité artistique, a permis de retrouver l’agencement originel des motifs.

La collaboration avec d’autres spécialistes, notamment Ian Betts et des experts de la British School at Rome, a été déterminante pour interpréter les ornements et les inscriptions retrouvés. Ensemble, ils ont redonné vie à des fresques d’une beauté et d’une complexité rares, restées invisibles pendant près de deux millénaires.

Un héritage redécouvert

La reconstruction de ces fresques est bien plus qu’une prouesse technique : c’est une fenêtre ouverte sur la vie quotidienne, les goûts et les aspirations des riches habitants de la Rome antique à Londres. Elle nous rappelle que l’art, la culture et le désir de beauté transcendent les siècles.

Qui sait quels autres trésors sommeillent encore sous nos pieds, prêts à être redécouverts par les archéologues de demain ?


(1) Le porphyre est une roche magmatique très dure, reconnaissable à sa texture particulière : elle contient de gros cristaux de feldspath (souvent blancs ou clairs) enchâssés dans une pâte plus fine et sombre. Cette apparence mouchetée lui donne un aspect noble et décoratif.

Historiquement, certaines variétés de porphyre  — notamment le porphyre rouge antique d’Égypte — étaient extrêmement prisées dans l’Empire romain. On l’utilisait pour sculpter des colonnes, des sarcophages impériaux, ou encore pour décorer les palais. Sa couleur pourpre intense était associée au pouvoir impérial, d’où l’expression « né dans la pourpre » pour désigner les enfants d’empereurs byzantins.

Aujourd’hui encore, le porphyre est utilisé dans l’architecture, la voirie (pavés très résistants), et parfois en joaillerie ou décoration.

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