L’affaire Grégory, du nom de Grégory Villemin, un enfant de quatre ans retrouvé mort, ligoté, sur les rives de la Vologne dans les Vosges le 16 octobre 1984, demeure l’un des plus grands mystères judiciaires français. Plus de quarante ans après, l’enquête n’a jamais permis d’identifier avec certitude le ou les responsables du crime.
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| Chronique judiciaire, Affaires criminelles non résolues | 
Le déroulement des faits
Le 16 octobre 1984, Grégory disparaît devant la maison familiale à Lépanges-sur-Vologne. Quelques heures plus tard, son corps est retrouvé dans la rivière, les pieds, les mains et la tête liés par des cordelettes, un bonnet rabattu sur le visage. Le même jour, une lettre anonyme est adressée à la famille, écrite par un mystérieux « corbeau » qui harcèle les Villemin depuis plusieurs années, revendiquant le crime et adressant des menaces. Le contexte familial, marqué par des rivalités et des jalousies supposées, alimente rapidement la suspicion dans l’entourage proche.
Les principales pistes et rebondissements
L’enquête prend rapidement une tournure chaotique, influencée par le témoignage de Murielle Bolle, adolescente de 15 ans, qui accuse son beau-frère Bernard Laroche, cousin du père de Grégory. Bernard Laroche est inculpé, puis relâché faute de preuves, avant d’être assassiné en mars 1985 par Jean-Marie Villemin, le père de Grégory, convaincu de sa culpabilité. Ce meurtre, loin de clore l’affaire, accentue les tensions et les suspicions au sein de la famille.
La mère de Grégory, Christine Villemin, est à son tour mise en cause, notamment sur la base d’analyses graphologiques laissant supposer qu’elle aurait pu rédiger certaines lettres du corbeau. Inculpée en 1985, elle bénéficiera d’un non-lieu définitif en 1993, la justice reconnaissant l’absence de charges suffisantes contre elle.
Les Jacob, la piste du corbeau
En 2017, la piste des « corbeaux » se précise : Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory, sont mis en examen pour « enlèvement et séquestration suivis de mort » après qu’une expertise graphologique a désigné Jacqueline Jacob comme l’auteure potentielle d’une lettre anonyme menaçante adressée en 1983 aux parents de Grégory. Les poursuites sont finalement annulées pour vice de forme, mais la justice continue de s’intéresser à eux, notamment à Jacqueline Jacob, convoquée en 2025 pour une possible mise en examen pour « association de malfaiteurs criminels ». Une qualification qui suscite la controverse, dans la mesure où cette infraction n’existait pas dans le Code pénal en 1984. Les avocats de Jacqueline Jacob contestent ainsi la validité d’une telle incrimination sur le fondement d’un principe de non-rétroactivité du droit pénal. Jacqueline Jacob, de son côté, réaffirme son innocence et nie toute implication dans les lettres anonymes ou le crime.
Un dossier marqué par l’incertitude et l’émotion
L’affaire Grégory est emblématique des dysfonctionnements judiciaires et de l’emballement médiatique. Les enquêtes successives, menées par la gendarmerie puis la police, s’affrontent parfois, alimentant la confusion. Les expertises graphologiques, bien qu’utilisées pour orienter les investigations, restent sujettes à caution et n’ont jamais permis de trancher définitivement l’affaire.
Les principaux protagonistes, accusés à tour de rôle, ont tous nié leur implication ou se sont rétractés. Aucune preuve matérielle irréfutable n’a jamais été apportée contre qui que ce soit, et l’affaire continue de diviser l’opinion publique et les familles concernées.
Marguerite Duras et l’affaire Grégory : une plume entre fiction, scandale et influence médiatique
Marguerite Duras a joué un rôle singulier et controversé dans l’affaire Grégory, non pas en tant que protagoniste du drame, mais comme figure médiatique et littéraire ayant profondément marqué la perception publique de l’affaire.
Romancière, dramaturge et cinéaste française majeure du XXe siècle, Duras est l’auteure de L’Amant et de Hiroshima mon amour, et connue pour son style introspectif et engagé. En 1985, à la demande du journal Libération et de son directeur Serge July, elle est envoyée à Lépanges-sur-Vologne pour couvrir l’affaire. Elle espère rencontrer Christine Villemin, la mère du petit Grégory, mais cette dernière refuse.
Plutôt que de s’appuyer sur des faits établis ou des preuves tangibles, Duras rédige un texte intitulé « Sublime, forcément sublime Christine V. », publié le 17 juillet 1985. Dans ce récit à mi-chemin entre la littérature et le reportage, elle imagine la culpabilité de Christine, la dépeignant comme une figure tragique broyée par la domination masculine et la misère affective. Elle adopte un ton presque prophétique, affirmant que le crime a eu lieu dans la maison, « au-delà de toute raison ». Aucune preuve concrète n'est évoquée, mais une ambiance, une intuition, une sensation qu'elle dit avoir perçue sur place.
La publication déclenche une vive polémique. Christine Villemin venait alors d’être libérée après une brève incarcération en juillet, et la justice ne disposait d’aucune preuve formelle contre elle. Le texte de Duras, en insinuant une culpabilité sans fondement matériel, a été perçu par beaucoup comme une atteinte directe à la présomption d’innocence. Cette prise de position interroge la responsabilité des écrivains et des médias face à la souffrance des personnes impliquées dans un fait divers.
En somme, le rôle de Marguerite Duras dans l’affaire Grégory fut celui d’une voix littéraire puissante, mais aussi controversée. Son intervention, entre intuition esthétique et récit fictionnel, a nourri la controverse et influencé durablement l’opinion, tout en questionnant les frontières entre littérature, justice et presse.
Conclusion : prudence et impartialité
À ce jour, l’affaire Grégory reste non élucidée. Les accusations portées contre les uns et les autres n’ont jamais pu être confirmées par la justice, et chaque nouvelle piste ou rebondissement rappelle la nécessité de rester prudent et impartial, tant que la vérité n’aura pas été officiellement établie. Les personnes mises en cause, qu’il s’agisse de la famille proche ou de l’entourage, ont toutes subi de lourdes conséquences, aussi bien judiciaires que personnelles, sans que l’on connaisse le fin mot de l’histoire.
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