Pourquoi les intellectuels se trompent, dernier essai de Samuel Fitoussi paru aux Éditions de l’Observatoire, s’attaque avec rigueur et impertinence à une énigme qui traverse l’histoire contemporaine : pourquoi tant d’esprits brillants, de Sartre à Foucault, ont-ils pu défendre des idées ou des régimes aujourd’hui discrédités, voire criminels ?
Fitoussi ne verse pas dans l’anti-intellectualisme primaire. Son objectif est d’analyser, à la lumière des sciences sociales, de la psychologie cognitive et de l’histoire des idées, les mécanismes qui rendent les intellectuels vulnérables à l’erreur, parfois au détriment même de la société qu’ils prétendent éclairer. Il s’appuie sur une riche littérature scientifique et convoque les réflexions de penseurs comme George Orwell, Jean-François Revel, Thomas Sowell, Raymond Aron ou Steven Pinker.
Fitoussi avance plusieurs explications majeures :
L’absence de sanction directe : Contrairement au boulanger ou à l’entrepreneur, l’intellectuel évolue dans la sphère des idées, sans subir les conséquences concrètes de ses erreurs. Cette impunité cognitive favorise l’irrationalité et la persistance dans l’erreur.
Le conformisme et la pression sociale : Les intellectuels évoluent dans des milieux où certaines idées font consensus. Remettre en cause ces dogmes expose à l’exclusion ou à la perte de prestige. Il est donc plus tentant de suivre le courant dominant que de s’y opposer.
La virtuosité argumentative au service de la mauvaise foi : L’intelligence, loin de protéger de l’erreur, peut même y prédisposer. Les intellectuels sont capables de rationaliser des croyances absurdes et de défendre l’indéfendable avec brio.
Le coût social de la vérité : Dire la vérité, surtout lorsqu’elle est impopulaire, peut coûter cher sur le plan social. Ainsi, certains préfèrent s’enfermer dans l’idéologie plutôt que de risquer l’ostracisme.
Des exemples historiques édifiants
Fitoussi revient sur des épisodes marquants du XXe siècle : fascination pour l’URSS, aveuglement devant les crimes de Mao ou de Pol Pot, glorification de régimes totalitaires par des figures comme Simone de Beauvoir ou Jean-Paul Sartre. Il montre comment, dans certains cas, l’intelligentsia occidentale a persisté à défendre des causes perdues malgré l’évidence des faits.
L’université, laboratoire de l’aveuglement ?
L’auteur s’inquiète aussi de la dérive autoréférentielle de l’université, qui risque de devenir un monde clos où la réalité ne pénètre plus, renforçant le conformisme idéologique et coupant les intellectuels du réel.
Un avertissement pour aujourd’hui
Fitoussi met en garde : il est toujours plus facile de repérer les erreurs du passé que les aveuglements du présent. Son essai invite à l’humilité intellectuelle et à la vigilance face aux séductions du conformisme et de l’idéologie.
« Certaines idées sont tellement absurdes que seuls les intellectuels peuvent y croire, disait George Orwell. Et il avait raison, car non seulement l’intelligence ne protège pas de l’erreur, mais elle peut y prédisposer ! »
Conclusion
Pourquoi les intellectuels se trompent est un essai stimulant, érudit et accessible, qui interroge la responsabilité des élites dans la diffusion d’idées parfois funestes. Il invite chacun à questionner ses propres biais et à se méfier de la tentation de l’entre-soi idéologique. Un livre salutaire, plus que jamais d’actualité.
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